Le syndrome de l’imposteur

Bon, il paraîtrait que ça ne serait pas un syndrome et que les auteures mêmes de l’expression regrettent ce choix. De toute façon j’y connais rien en psychologie, je vais juste vous parler d’un truc que j’ai à la fois expérimenté en moi, observé en des pairs, et observe encore aujourd’hui en pas mal de gens que je côtoie.

Mais kessecest ce syndrome alors?

Comme tout bon syndrome c’est un ensemble de symptômes. Pour résumer grossièrement on voit ça chez un individu qui se dit « je suis plus nul que mes pairs, personne ne l’a encore réalisé, mais un jour je vais me faire démasquer (et alors ça va chier pour moi) ». Il y a derrière la petite idée « je ne mérite pas ma position actuelle (ou mes notes, pour les étudiant.e.s) », et souvent une surcompensation : l’individu va en faire des tonnes pour tenter de compenser le manque qu’il croit avoir, et se mettre au niveau qu’il estime être le bon. Et être un peu fatigué au bout d’un moment, voire épuisé.

Dans mon expérience, ce syndrome est vachement répandu, et pour moi il est en lien avec la confusion entre bienveillance envers soi (qui dit que je suis ok comme je suis, et que je me regarde avec douceur et tendresse) et estime de soi (qui dit que je suis ok sous condition que ce que je fasse soit jugé « bien » ou ait de la valeur— à mes yeux ou aux yeux d’autrui). En gros, une grosse partie des gens que j’observe vivent dans un monde régi par l’estime de soi, et dans notre occident qui compare, juge, mesure, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres, comme dirait Coluche…

Jusqu’à présent j’ai surtout fréquenté des scientifiques (et des stagiaires en Communication Nonviolente…) et franchement ce syndrome est vachement répandu… Comme j’ai plus de recul avec les scientifiques, je vais me concentrer là-dessus pour aujourd’hui. J’ai noté que ce syndrome était particulièrement virulent chez les jeunes (étudiant.es ou jeunes professionnel.les), et moi ça me désole un peu, car c’est vraiment pas mon rêve de voir des jeunes sortir du système scolaire avec 8 années de bonnes études et qui croient qu’elles.ils sont des merdes.

Mise en place

Enfin bref, voilà comment ça se met en place. Après plusieurs années de doctorat, un.e jeune chercheur.se qui se croit imposteur.se a croisé beaucoup de chercheur.ses confirmé.es, a rencontré en allant à des conférences des vraies superstars de son domaine, et réalise que l’excellent.e élève qu’elle.il était se retrouve au milieu de gens super intelligents aussi, super forts, beaucoup plus forts qu’elle.lui.

[Bon, ça m’agace un peu de trainer le masculin et le féminin, alors si vous permettez je vais mettre toutes les généralités au féminin (ça nous changera un peu, on en est à l’épisode 2 l’Implacable Revanche ).]

Bon alors, j’en étais où? Ah oui, prenez typiquement une bonne élève, genre première de la classe tout le long de sa scolarité, qui se retrouve, au fur et à mesure de la montée des marches de l’escalier scolaire, avec de plus en plus de bonnes élèves comme elle autour d’elle. Elle n’est donc plus première, plus exceptionnelle, elle est juste normalement brillante (au milieu de plein d’autres gens brillants). Et au milieu de la communauté universitaire, elle voit des gens vraiment exceptionnels. Elle s’en fait donc un standard : c’est comme ça qu’il « faut » être pour rester brillante et première de la classe. Elle se trouve donc nulle en comparaison. Et c’est là le point de départ : sa nullité auto-proclamée. Le jour où elle obtient un poste de chercheuse ou enseignante-chercheuse elle se dit qu’elle ne le mérite pas, qu’elle est trop nulle pour ça, et qu’un jour ses collègues vont réaliser ça et que ça va être le drame.

Il y a aussi un autre profil, c’est l’élève « normale », qui n’a jamais été première de la classe, elle, et qui fait malgré tout de bonnes études, une bonne thèse, et qui se retrouve au milieu de ce troupeau de premières de la classe et qui se dit « moi, je suis vraiment trop nulle, pour de vrai ».

C’est bien, hein, ainsi comme ça personne n’est épargné. C’est sympa le système scolaire français majoritaire, celui qui met des notes, qui classe les gens, qui met des appréciations « bon », « très bon », « excellent », « peut mieux faire », ça emmerde tout le monde finalement, chacune morfle d’une manière ou d’une autre. Petit à petit ça change, heureusement, mais c’est pas encore gagné…

La réalité

Le point de vue d’une observatrice extérieure un peu objective (ou d’un être qui n’a jamais eu ou a dépassé ce syndrome de l’imposteur) est le suivant : ce système de sélection fait qu’à chaque étape du processus on ne garde que les individus dont les travaux sont jugés les meilleurs, ainsi à chaque étape le niveau global des gens qui ont survécu à l’étape précédente augmente (puisque les autres sont éliminées par le processus de sélection), et quand on arrive à l’étape finale on n’a plus que la crème de la crème (enfin, si le processus de sélection s’est bien passé, que les critères avaient un sens par rapport à l’objectif souhaité, et que la notion même de sélection avait un sens, trois sujets amplement débattables 😃 mais ce n’est pas le propos ici). Le seul petit problème c’est que cette crème de la crème elle a l’habitude d’être classée, comparée, triée, sélectionnée, alors elle continue à le faire même après le recrutement, et elle croit des choses distordues genre « moi je suis plus nulle que les autres ».

Isolement et incompréhension

Une jeune adulte qui pense ainsi a bien souvent du mal à se faire entendre et comprendre par son entourage. Typiquement, lorsque l’entourage n’a pas fait d’études aussi longues, ni de communication bienveillante ou Nonviolente, ou même simplement d’écoute active, l’imposteuse parle à des murs : « —je suis nulle —mais non t’es pas nulle, bac+5/8 tu rigoles —mais si, tu sais, les autres elles sont beaucoup plus fortes que moi —tu dis n’importe quoi, regarde comme tu fais bien les divisions à virgule, et regarde ce beau diplôme que tu as eu l’an dernier —oui mais je suis nulle —oh mais de quoi tu te plains, t’es super forte et regarde moi j’ai juste un bac —etc. ». Vu depuis le bac, un master ou un doctorat même merdique est un truc exceptionnel évidemment, et il peut être très difficile de se faire entendre. L’imposteuse se dit donc qu’elle est borgne au milieu des aveugles, que personne ne comprend ce qu’elle vit réellement. Elle se dit donc qu’elle seule sait la vérité, les autres n’y connaissent rien, et elle continue à se croire nulle.

Objectivement évidemment, elle est tout sauf nulle, elle est simplement de plus en plus avec des gens du même niveau qu’elle, et c’est de plus en plus difficile de surnager et de franchir les étapes. Comme dans son entourage il y a peu de gens capables de prendre réellement la mesure de la difficulté qui augmente, elle se retrouve à ne pas pouvoir partager sa peur, à bosser comme une ânesse pour essayer d’y arriver, à se mettre une pression de malade pour ne pas rater, sans que qui que ce soit réalise réellement l’effort fourni ni le risque effectif que ça ne marche pas. A ce stade, elle n’a pas besoin qu’on lui dise qu’on a confiance en elle ou qu’on est certain de sa réussite future, elle a simplement besoin d’empathie : que sa peur soit mesurée, que l’enjeu et les efforts fournis soient reconnus, et qu’elle soit enfin entendue, juste entendue (pas rassurée).

Le réveil

Et comment peut-on sortir de ce cercle pas très vertueux ? Pour moi ça a simplement été une prise de conscience progressive : plusieurs fois j’ai observé quelqu’un autour de moi faisant une remarque du genre « oui mais moi je n’y connais vraiment rien à ça, c’est pas comme toi » ou « c’est facile ça pour toi mais moi tu sais je suis nulle ». Et petit à petit ça m’a ouvert les yeux et j’ai vu des tas d’imposteurs et d’imposteuses partout !

Du coup ça m’a vachement détendue. Ce qui a changé ce n’est pas que je me considère désormais super fortiche, c’est que maintenant je me considère ok telle que je suis, et je n’ai pas besoin de prouver que je mérite ma place.
Par ailleurs, ce chemin que je fais et qui me mène de l’estime de moi à la bienveillance envers moi m’aide beaucoup aussi : je n’ai plus besoin de m’estimer autant qu’avant pour m’aimer beaucoup ou être douce envers moi-même, et ça c’est drôlement chouette à vivre…

La cure

Prendre soin de l’imposteuse en moi ou autour de moi c’est désormais écouter les signes qui traduisent un tel état d’esprit, et simplement écouter les ressentis, prendre la mesure des sentiments d’incompréhension, d’isolement, de manque d’estime de soi, juste écouter et accueillir.

Après, si cela est bienvenu, je partage mon expérience d’imposteuse réveillée. Je montre simplement que c’est un état d’esprit partagé par beaucoup, et que cette croyance « je suis une imposteuse » est entretenu par ce mythe qui dit que « les gens font des tonnes de trucs et tout le monde a l’air mieux organisé que moi ».

Pour montrer combien c’est effectivement un mythe, rien de tel que partager ses faiblesses et ses zones d’ombre, de montrer les choses que je bâcle ou que je n’arrive simplement pas à faire, de montrer tout ce que je délègue à d’autres et tout ce à quoi je dis non, d’assumer les fois où je joue à Candy Crush à mon bureau ou encore celles où j’envoie des textos en plein cours (oui ça arrive). Et petit à petit, ce dialogue plus ouvert avec les pairs permet effectivement d’assouplir les choses et d’arriver plus sereinement à « je fais de mon mieux avec les moyens que j’ai, et je suis ok telle quelle ».

Et puis, en recherche, il y a aussi cette idée (bien entretenue par la course à l’excellence avec laquelle nous bassinent nos universités et agences nationales et internationales) que tout le monde doit être une chercheuse exceptionnelle. Ben la réalité c’est que c’est juste pas possible, et qu’il est vital pour la science d’avoir aussi des gens « normaux », qui font le job et soutiennent le système grâce à leur travail.

La vraie cure

Bon ça c’est plutôt la cure de surface, mais dans le fond je pense que l’essentiel est vraiment de se pencher sur cette question de l’estime de soi. C’est très bien expliqué dans cette vidéo d’Issâ Padovani (environ 17 minutes) je vous laisse aller voir, et je vous résume ci-dessous ce que j’en ai compris (en prenant la responsabilité d’avoir compris de travers, le cas échéant !).

Essentiellement, elle fait la différence entre :

  • l’estime de soi : je suis ok sous réserve que je me juge ayant bien fait ou bien agi —ou que d’autres me jugent ainsi. Autrement dit si un jour ce que je fais est moins bien que d’habitude, je vais me taper dessus, ou bien n’être pas contente de moi, et dans le fond pas joyeuse. Et insidieusement ça peut mener à la comparaison avec d’autres, je vais avoir besoin de me sentir « mieux » que d’autres pour être ok avec moi-même. La conséquence pour moi : c’est pas du tout doux à l’intérieur, d’évaluer sans cesse ce que fait chacun.e, et ça donne un niveau moral fluctuant et dépendant de l’extérieur et de ce que je fais.
  • la bienveillance envers soi : je suis ok. Et point final, c’est tout, pas de « si… ». Reconnaître que telle que je suis, je suis fondamentalement ok, et je n’ai rien à faire pour avoir le droit de goûter la douceur envers moi-même. Même si je fais ce que je juge être des conneries, j’ai les ressources pour m’accueillir telle quelle (sans nier les conneries bien sûr, en prenant ma responsabilité, en faisant le deuil, en réparant si possible, etc.). Mais en gros, je n’ai pas besoin de faire quoi que ce soit pour me considérer un être humain digne de bienveillance. La conséquence : c’est beaucoup plus doux pour moi au quotidien de vivre ainsi…

Ça vous inspire ? Laissez en commentaire le premier petit pas possible que vous aimeriez mettre en place après cette lecture !

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6 commentaires

  1. Oui, c’est bien vu, et je pense être passé par là aussi (au moins dans le monde professionnel). Mais ce qui m’a aussi frappé, c’est que pour les gens qui ne souffrent pas de ce « syndrome » sans être des sommités dans leur discipline, ce n’est pas forcément parce qu’ils sont bienveillants envers eux, ou ont une haute estime d’eux-mêmes : j’en ai croisé pas mal qui était tout simplement aveugles, et bien qu’ils ratent assez lamentablement les actions dans lesquelles ils s’étaient lancés en les croyant à leur portée, ils étaient incapables d’en faire un bilan objectif et de reconnaitre qu’ils avaient peut-être un peu « imposté » en prenant cette action à leur compte. Quoi qu’il arrive, ils n’avaient aucun doute sur le fait qu’ils étaient les meilleurs. D’où mon interrogation : est-ce que les « imposteurs » ne sont pas simplement ceux qui ont la capacité de douter, au contraire des autres ? Et si oui, une fois enlevé le non-doux que peut parfois entrainer ce doute grâce à une approche bienveillante, ne faut-il pas garder cette aptitude ? J’ai toujours bien aimé la chanson qui s’appelle « J’aime mes gens qui doutent ».

    • Ah génial, oui merci pour cette précision! Oui ça me parle beaucoup d’aller chercher la pertinence dans la posture de l’imposteur, et cette capacité à douter est en effet une chouette qualité, cultivable comme tu le dis après avoir ajouté douceur et bienveillance. Merci pour ce complément!

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