« Connect before correct » : si vous avez déjà fait de la Communication Nonviolente (CNV) vous connaissez probablement cette expression de Marshall Rosenberg. Si non, voici une tentative de traduction : « cherche d’abord à être en lien, et ensuite à éduquer ». Si ceci ne fait aucun sens, voici une autre tentative de reformulation : « avant d’expliquer à autrui comment elle.il devrait faire / se comporter dans une situation donnée, cherchons d’abord à voir son point de vue et ses ressentis dans la situation ». C’est plus clair ?
De quoi s’agit-il concrètement ?
C’est un truc fondamental de CNV, et (j’imagine) de bien d’autres processus de communication bienveillante et/ou efficace : je ne peux pas éduquer quelqu’un qui ne m’entend pas. Autrement dit, si je veux être entendue, il vaut mieux pour moi que j’aie fait le nécessaire pour que l’autre soit en position de m’entendre.
Et mon expérience (et c’est ce que propose la CNV) c’est que l’autre ne peut m’entendre que quand elle.il a le sentiment d’avoir été entendu.e et rejoint.e, sinon c’est peine perdue.
Enfin disons que je peux toujours essayer, mais après c’est juste normal si ça ne marche pas et que les conséquences sont un être qui me dit « prout » et s’en contrefout de la merveilleuse sagesse que je viens de tenter de lui faire ingurgiter, sans lui avoir demandé son avis. Ça j’ai essayé aussi (et je continue à essayer régulièrement, quand j’ai tout oublié tellement je suis énervée ou stimulée), et clairement ça marche pas trop bien, en tout cas pour moi.
Attention hein, là je dis pas que c’est bien ou mal de faire un truc ou l’autre, c’est juste que dans mon expérience ça donne pas les mêmes résultats…
Connect before correct c’est donc le mode d’emploi pour m’assurer les meilleures chances possibles de pouvoir faire entendre mon message : d’abord chercher de toutes mes forces à me mettre en lien et à pouvoir entendre ce que dit l’autre.
Une clef extraordinaire
Quand j’ai découvert cette phrase elle m’a semblé une clef extraordinaire. C’est toujours le cas aujourd’hui d’ailleurs, car elle contient une partie de la substance de la CNV : l’intention d’être d’abord en lien (la connexion) et de faire passer le lien, la relation, la connexion, avant le résultat voulu (éduquer, transmettre une autre vision, faire des propositions, etc.). Pendant près d’un an j’écrivais ces trois lettres CBC sur ma main gauche afin de l’avoir sous les yeux toute la journée (avec les étudiant.e.s que je côtoie, les collègues, mes proches), pour que la part de moi qui éduque à tour de bras se souvienne comment maximiser ses chances d’être entendue.
Et pourtant ça marche pas
Un an c’est long. Tous les trois jours, je remets ces lettres sur ma main (ouais au bout d’un moment le feutre indélébile ça s’en va), tous les matins je le lis sur les petits bouts de papiers qui parsèment mon appart et me permettent de ne pas oublier. Je connais cette expression par coeur, elle fait maintenant partie de moi. Et pourtant, d’une certaine manière, ça ne marche toujours pas. Ben merde alors. Alors j’en conclus que je suis encore bien débutante en CNV (ça c’est clair de toute façon, la girafe en moi est née en juin 2015), que je ne sais pas encore bien « faire », et que la pratique de la CNV et le temps qui passe sont mes allié.es pour qu’un jour « ça marche » et que je sache pratiquer avec brio le Connect Before Correct. Héhé, c’est mignon hein ?
C’est rigolo de se retourner vers le passé et de voir cette évaluation, parce que je peux la mettre en parallèle avec cette conclusion que j’ai sans cesse tirée de ma pratique de la CNV : « quand je ne sais pas comment faire quelque chose, c’est que je ne suis pas encore assez clarifiée et que, en réalité, ce que je cherche à faire n’est pas vraiment ce que je cherche à vivre ». Mais dans ce cas précis j’avais oublié ça, je croyais juste normal de ne pas savoir faire Connect Before Correct, sans avoir réalisé que j’étais un peu à côté de la plaque. Bon, enfin, croyez pas que je me tape dessus hein, c’est tendre en moi quand je dis que j’étais à côté de la plaque, tranquille… Sous bien des aspects je suis à chaque seconde à côté de la plaque et c’est tout à fait ok.
Comprendre ce qui se passe : pourquoi j’éduque, en fait ?
Bon, revenons à nos moutons. Comment j’ai compris ce qui se passait en moi ? Grâce à une rencontre de deux jours avec Issâ Padovani en février dernier, où il a partagé plusieurs différenciations clefs, notamment en lien avec « connect before correct » :
- différencier « prendre soin de moi / prendre soin de l’autre »
- différencier « prendre ma responsabilité à 100% / faire porter (toute ou partie de) la responsabilité à l’autre »
Issâ a posé cette question, en substance : pourquoi est-ce que je veux éduquer ? Est-ce que j’éduque pour le bien-être de l’autre (et ses besoins du moment) ou est-ce que j’éduque parce que moi je suis à ma limite avec son comportement ? En gros, deux différenciations ont été proposées (si j’ai bien compris) :
- est-ce que j’éduque pour prendre soin de mes besoins ou pour prendre soin de l’autre ?
- est-ce que je prends 100% de ma responsabilité face à mes limites ou bien est-ce qu’il y a encore ne serait-ce qu’1% de moi qui croit encore que l’autre devrait se comporter différemment ?
Bon ben ces questions ont été un coup de projecteur extraordinaire sur mon comportement. A la seconde où j’entends cela je réalise qu’évidemment la quasi totalité de mes tentatives d’éducation se font à partir d’une tension et d’un besoin en creux, puisque pour les deux questions je suis gaillardement dans les choux (ou pour le dire en version ni bien ni mal : pour les deux questions ma réponse n’est pas la réponse que j’aurais cru / rêvé pouvoir faire) :
- J’éduque car mes besoins sont en creux lorsque l’autre se comporte comme il.elle se comporte, j’éduque car moi je n’arrive pas à vivre mon rêve dans cette situation ; pour faire simple j’éduque pour mon propre bien-être, et en plus je me fais croire que je fais ça pour l’autre. Ouch. Bichette, ça fait mal cette prise de conscience [bon je reviendrai un jour sur comment je vais tenter d’éviter ici le double effet kiss-prout qui consisterait à me taper dessus, mais plutôt choisir de soigneusement faire le deuil du passé, un méga câlin, une tonne d’empathie, et autant de larmes que souhaitées pour l’adorable éducateur forcené qui vit en moi].
- Je ne prends pas à 100% la responsabilité de mes limites : je crois encore que, quand même, l’autre devrait faire au moins un peu différemment, que d’une certaine manière c’est un tout petit peu sa faute si je suis stimulée. Et là bordel ça fait mal aussi de réaliser ça. Pourquoi c’est dur : parce que j’avais compris, vraiment vraiment compris, cette notion de responsabilité de mes sentiments et besoins. Et là je réalise boum que j’avais pas complètement compris et pas intégré non plus, en tout cas pas compris / intégré le 100%. 100% et pas 99% ! Ouch ouch. Bon idem, câlin, deuil, empathie à fond les ballons pour éviter la double peine, bordel ça pleure en moi d’avoir tellement pas réussi à vivre ce que je croyais pourtant avoir compris : je suis responsable à 100% de ce qui se vit en moi… Et à la seconde où ça pleure ça se réjouit aussi, de gratitude pour Issâ de m’avoir permis avec ses mots de comprendre ça ce jour-là, de gratitude aussi pour ma capacité à me remettre en cause, me questionner, et chercher à vivre une vie plus belle.
Aujourd’hui, j’en suis là, c’est toujours pas simple
Alors voilà, j’en suis là aujourd’hui. J’ai arrêté d’écrire « connect before correct » sur ma main, c’est toxique à la longue l’encre indélébile, j’ai remplacé ça par la question interne « mon trésor pourquoi as-tu tant besoin d’éduquer ici et maintenant ? » à chaque fois que l’envie d’éduquer mes semblables se présente.
Bon en pratique ça n’a pas des masses changé, puisque ça me prend juste un temps de malade de modifier mes autoroutes neuronales, et en même temps maintenant j’ai bien souvent vachement plus de clarté sur ce que je vis. Je perçois souvent mieux mes limites dans chaque tentative d’éducation, je suis vraiment au clair qu’il y a en moi un truc qui veut éduquer parce qu’il est à sa limite.
Alors parfois j’arrive à m’exprimer comme j’en rêve, en disant à voix haute que je suis à ma limite, que j’aimerais vraiment être capable de faire différemment, mais là vraiment je ne sais pas faire, et en faisant ensuite éventuellement une demande de soutien grâce au processus de la CNV.
Et puis parfois je n’y arrive pas, et je m’observe pratiquer « connect before correct » (les grands jours) ou encore « correct tout court » (quand c’est plus dur), et j’empathe la part de moi qui pleurniche de ne pas vivre son rêve de perfection…
Et là y a une petite voix en moi qui mesure le chemin parcouru : oui je suis encore une belle bouse en CNV la plupart du temps, et en même temps j’arrive vachement plus à m’empather aussi, de sorte que je suis bien souvent une belle bouse, merveilleusement limitée, tendrement empathée et accueillie, globalement heureuse et détendue, et qui a beaucoup de gratitude de pouvoir vivre tout cela, comprendre des trucs, avancer, reculer, se tromper et mille fois se relever et recommencer.
Pour aller plus loin, quelques vidéos d’Issâ Padovani sur la CNV :
- Communication Nonviolente : Privilégier la qualité de la relation à un résultat attendu
- Communication Nonviolente : l’intention, 1ere étape du processus
- Communication Nonviolente : Convaincre ou se relier ?
Quelques infos sur Marshall Rosenberg et la CNV :
- Fiche wikipédia
- Interview écrite sur psychologies.com
- Une playlist (en français) pour une conférence sur la CNV par Marshall
Quelques ressources générales sur la CNV, et tous mes articles taggés CNV.
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Belle analyse. Cela me fait penser par certains côtés, à ce que disait Carl Jung : « Tout ce qui nous irrite chez les autres peut contribuer à mieux nous connaître » (« ce qui nous irrite » pouvant être compris « ce que nous voulons éduquer).
Pour le « connect », c’est souvent très très dur. Soit on a un élan profond qui part de son coeur/âme vers la personne en face, et là ça me semble plus facile. Soit cet élan n’existe pas à priori, et construire quelque chose de toute pièce demande des ressources profondes (enfin, je crois …). Pour moi, arriver au « connect » dans ce cas de figure serait déjà un accomplissement superbe. Je ne suis pas sûr que j’aurai envie/besoin d’aller au delà, vers le « correct » (quoi que, quand je vois comment certains utilisent leur perceuse, j’ai des démangeaisons dans les doigts 😉
🙂 merci pour ton feedback ; oui en effet cette citation de Carl Jung résonne particulièrement ici. c’est intéressant sur ce que tu dis sur la difficulté du « connect », ça me dirait bien qu’on en discute de vive voix (sans la perceuse). – des bizoux !
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Trop chou ton texte !
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